De tunnels en viaducs, de courbes en contre-courbes, de vallons en prairies, Stéphane Maïcon a pris le train de Grenoble à Veynes, seule liaison ferroviaire entre les alpes du nord et les alpes du sud. Une ascension qui donne envie au voyageur de mettre pied à terre pour aller à la rencontre d'une nature sans cesse renouvelée.
Les 110 kilomètres qui séparent Grenoble de
Veynes sont riches en ouvrages d'art et en paysages prestigieux.
La ligne de Grenoble à Veynes est le maillon central de la ligne des Alpes. Elle est la seule liaison ferroviaire entre les Alpes du nord et les Alpes du sud. Pour le voyageur qui cherche la différence, c'est 110 kilomètres d'une croisière dans des paysages magnifiques...
A Grenoble, le ciel est déjà bleu, limpide, promesse du Sud. l'hiver est sec, chaud, mais jaune est le train qui nous attend, une rame RGP modernisée a conservé de ses croisières TEE un confort et une place généreux. Le train démarre et se dirige plein sud. Il prend de la vitesse, suit un moment la ligne de Chambéry, qui bifurque à gauche et remonte vers le nord, puis rejoint les gares de Pont-de-Claix et Jarrie-Vizille, traçant la frontière entre une zone d'habitations d'un coté, et les raffineries, sinistres et rouillées, déversant leur chimie en haut de hautes cheminées, de l'autre. Peu de monde, dans le calme du matin. La douceur des suspensions et le ronflement lointain du moteur, parvenant en bouffées, bercent les rares passagers.
Après Jarrie, on traverse la Romanche, et la nature ne tarde pas à reprendre ses droits. Les montagnes, auparavant distantes, se rapprochent, leurs épaulements frôlent la voie, mais la vitesse est encore élevée jusqu'à la gare de Saint-Georges-de-Commiers où se découvrent les vestiges de l'embarcadère du charbon de la Mure, livré aux chalumeaux des démolisseurs. Le petit train à voie métrique, lui, est encore bien là. Cette gare n'est séparée de la suivante, Vif, que par un pont sur le Drac et un petit tunnel. Elle garda son château d'eau jusqu'à l'année dernière. Le sémaphore bascule, le ronflement enfle, la vitesse diminue: on aborde la montée, murs de soutènement, murs moussus, montagnes dénudées, arbres sombres.
Après le viaduc de Vif, qui nous donne un temps l'impression de planer au-dessus des champs, commence une double courbe qui nous fait gagner de la hauteur. Le train croise de vieilles fermes, habitations massives et rassurantes, des prairies en bordure de la pente, et réapparaît, bien plus haut, au-dessus de Saint-Georges. La montée vers Monestier est fastidieuse, les moteurs soufflent, et la voie joue avec la route, prenant tantôt dessus, tantôt dessous. en face, on aperçoit les premières barres du Vercors. Elles ont perdu leur manteau poudreux. A Monestier, village-rue, les conifères descendent jusqu'aux lisières de la gare. A 850 mètres, nous traversons le col du Fau par un tunnel.
Le débouché est toujours une révélation: en une vaste découverte qui nous mène jusqu'aux pyramides du col de la Croix-Haute, à une trentaine de kilomètres, apparaissent les vallonnements bucoliques du Trièves. La voie zigzague maintenant au pied des contreforts, protégée par des paravalanches, parsemée de haltes abandonnées envahies par l'églantine, et de maisonnettes de garde-barrière. Nous nous mettons maintenant à remonter, laissant la route bien en contrebas, parmi les champs et les bois, embrassant d'un coup dil le damier de routes et de villages. Un enchaînement de viaducs nous mène à Clelles, gare de croisement couronnée du mont Aiguille, et nous reprenons encore notre ascension.
Au gré des courbes et des contre-courbes, bordées de prairies, la voie semble à chaque tournant s'arrêter dans le ciel. A gauche, au delà des villages nichés dans la vallée, les masses blanches, neiges de printemps, de l'Obiou, devant la chaine des Ecrins et l'Oisans. Le Vercors descend jusqu'à la ligne par de vastes prairies où nous débusquons un couple d'aigles. Dehors l'air est vif. Le paysage ne tarde pas à se modifier au fil des viaducs et des tunnels qui se multiplient.
Une ligne sous protectionCette ligne à été ouverte entre 1876 et 1878.
Elle est actuellement desservie par cinq allers et
retours quotidiens, et exploitée, dans sa section
centrale, sous le mode du cantonnement téléphonique.
Récemment, l'évitement de la gare de
Saint-Maurice-en-Trièves a été démonté, mais le bloc
manuel devrait être installé dans le courant de cette
année (1992). Une modernisation plus poussée
permettrait à la ligne d'affronter la concurence créée
par la future A51. |
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Saint-Maurice-en-Trièves, doucement encadré de vallons bucoliques |
La gare de Saint-Maurice-en-Trièves, qui se découpe sur les cimes enneigées, fait penser à ces constructions de tourisme du début du siècle, toits d'ardoises, légendes peintes, frisettes... Les arbres se rapprochent, bordent la voie, à portée de main. Parfois, une ferme isolée, L'à-pic se fait vertigineux. La voie n'est plus qu'une entaille solitaire à flanc de montagne. Au-dessus, on devine les pentes arides du Jocou. Encore deux tunnels, et c'est la tranchée du col de la Croix-Haute. Le moteur se tait, ample respiration ou détente, on redescend. Le paysage change: pierriers, couleurs ocre, Sud. A Lus, la pointe de la Feuillette est le dernier contrefort de la montagne hautaine.
Le paysage s'aplatit. Les lignes droites s'élancent dans une vallée étroite bordée de cirques de calcaire, de bourgs, avant-postes accrochés à un piton, perchés dans le vent. Aspres: on rejoint la ligne de Briançon à Valence. Le train s'arrête: paysage ocre et brun, sous le soleil limpide de l'hiver, gardé par un arbre seul et sec. Nous accélérons maintenant jusqu'à Veynes, rideaux au vent: un tunnel, une tranchée, et une double voie presque rectiligne. Le soir, dans le vent et les odeurs d'huile chaude, quand le ferraillage du train résonne dans les murs de soutènement, quand le vent fouette le visage, le quadruple trait d'acier que dessine le soleil couchant fait penser à un trait imaginaire entre l'Espagne et l'Italie. Veynes est une ville déserte toute entière tendue vers la montagne, déjà aride, et la lumière. On retrouve le grand hôtel, son garage, ses truites, avenue de la gare. Dans la ville basse, au-dessus des rues, des passerelles relient les maisons. C'est le Sud. Bientôt vont arriver les correspondances pour Briançon, Marseille et Nice, Valence... Si vous prenez souvent cette ligne, vous aurez parfois l'envie de descendre en route, d'aller insouciant, vers cette nature, dans l'illusion de la profonde immobilité du temps.
Clelles-Mens, une gare de croisement, au pied du Mont Aiguille | L'Obiou, où la neige ne se décide pas à fondre. | Aspres-sur-Buech: pitons déchiquetés et arbres desséchés par le vent |
Stéphane Maïcon
La Vie du Rail - N° 2345 - 14 au 20 mai 1992