Les trains à... chenilles

Des centaines de millers de larves ont envahi la voie ferrée entre Vif et Monestier-de-Clermont
Les convois patinent, les cheminots se grattent... Une guerre du rail du "troisième type" est engagée




Réparties sur une grande portion de voie ferrée, les chenilles écrasées font patiner les trains en montée et les font glisser en descente... Un casse-tête que les cheminots ont bien du mal à résoudre. Photo AFP
chenilles sur la voie


A Vif (Isère)
Les cheminots se grattent, les trains patinent et des milliers de chenilles font bombance

Grenoble. - Même les cheminots de l'équipement de la gare de Vif (Isère) croyaient à une blague. Des chenilles qui envahiraient par milliers les rails du chemin de fer ainsi que tous les alentours du tunnel du Grand-Brion sur des centaines de métres carrés? Impossible. Voire irréel.
Le témoignage d'un conducteur d'autorail tombé en «carafe» à la hauteur du tunnel les faisait sourire. Et ils sont montés allègrement là-haut, sifflotant sans conviction.

Pourtant elles étaient bien là par centaines de milliers au moins. certaines arpentant sans cesse les rails. D'autres pendues à des tiges et des feuilles d'arbres qu'elles dévorent sans retenue. Tout cela dans un crépitement faisant penser à une ondée légère s'émoussant dans un sous-bois. Si bien que les cheminots, dans un premier temps surpris, se saisirent de chalumeaux pour mener le combat. David contre Goliath. «Plus on les tuait, plus elles revenaient» se lamentait encore hier après-midi M.Vanovyl, chef de brigade d'équipement affligé par le «carnage», la désolation qu'engendrait ces larves dans la flore. «Faudrait pas qu'il y ait le feu là-dessus le feu» poursuivait-il amèrement.

Présence indésirable

Cette présence indésirable provoque inévitablement une gêne. A la S.N.C.F. tout d'abord. Un bulletin de marche prudente est remis à chacun des conducteurs d'autorail ou de locomotive en gare de Vif pour le trajet Grenoble-Monestier-de-Clermont.

Le tronçon Vif - tunnel du Grand-Brion doit se prendre avec un grand élan à la montée vers Monestier-de-clermont et avec prudence à la descente.

Comme l'explique le chef de dépôt de la S.N.C.F. de Grenoble qui n'a «jamais vu ça» - bien que les feuilles mortes l'automne ou le gel l'hiver produisent des effets similaires - les chenilles écrasées provoquent un patinage dans la montée et un enraiement des roues à la descente, les sabots de frein n'arrivant pas à serrer.

Autre gêne, celle causée aux particuliers et riverains de cette zone. La chenille, bien qu'inoffensive, n'est pas aisée à manipuler. »Ce sont des chenilles urticantes« expose M. Galland de la Direction départementale de l'agriculture de l'Isère particulièrement chargée de la protection végétale... et animale. Nous éclairant sur les espèces rencontrées, surtout des "bombyx disparats" (noires à taches rouges sur le dos avec des poils assez longs) ainsi que des "bombyx jaunes". M. Galland cherche les origines de cette soudaine invasion.

C'est probablement le vol de papillons remarqué voici deux ans à Saint-Martin-de-la-Cluse où un véritable nuage d'insectes lépidoptères s'est abattu sur la forêt. L'hiver 84-85 particulièrement rigoureux n'a, semble-t-il, pas beaucoup touché ces espèces. De plus le printemps 1986 alternant le chaud et le froid a vraissemblablement augmenté la durée de l'éclosion.

Patience...

Alors que faire? Si les particuliers craignant pour leur vergers peuvent agir avec un nouvel insecticide mis au point récemment par les chercheurs de l'I.N.R.A. (le bacillus thuringiensis) dont la particularité est de contaminer par une maladie transmissible toutes les chenilles, la D.D.A. s'arme de patience quant à l'attitude à adopter.

»Que voulez-vous, répond M. Galland à un particulier paniqué et excédé, on nous appelle quand le bateau est coulé. Il y a plus d'un mois quand certaines personnes ont effectué des coupes et ont constaté la présence de chenilles, il était alors possible d'agir» Maintenant les chenilles en sont à leur stade d'hyper-résistance.

Face à ce phénomène désagréable mais passager, il faut donc s'armer de patience (ou de bacillus thuringiensis).

»D'autant que lorsque les chenilles tombent, ajoute M. Galland, c'est que la nymphose est toute proche» Prévisions? D'ici trois semaines. Le temps que les chenilles filent leurs cocons.

En attendant les cheminots qui continuent de travailler sur les voies (certains ont attrapé des boutons, eux aussi rouges et passagers) se grattent sans cesse et voient des chenilles partout. «Que voulez-vous, c'est psychologique» lancent-ils en boutade.

Jean-Michel LEFEVRE
Le Dauphiné
Jeudi 19 juin 1986